Renforcer pour sécuriser le réseau haute tension
La CNDP a organisé une rencontre à Limoges, dans le cadre du débat public « Branché sur demain : le réseau électrique en débat » autour du thème du renforcement du réseau haute tension. Entretien avec Francis Beaucire, géographe, professeur émérite à l'université Panthéon-Sorbonne, qui a présidé le débat, et Jérôme Rieu, délégué Sud-Ouest de RTE.
Pourquoi organiser ce débat ?
Francis Beaucire : Il s'agit d'un débat sur un plan-programme national valable pour 15 ans, avec des infrastructures qui vont être adaptées ou construites, et qui seront encore présentes et en activité dans 80 ans voire plus. Nous avons choisi des points d'ancrage : Bordeaux, Le Havre, Strasbourg, Châteauroux... afin de concrétiser le débat. Notre référence est davantage le Limousin qu'uniquement Limoges. Dans le Schéma décennal de développement du réseau (SDDR) de RTE, la décarbonation de l'industrie, qui appelle de l'électricité à haute tension, s'est ciblée sur les grands bassins industriels, comme Le Havre, Dunkerque, Marseille Fos... et les grandes métropoles. Nous ne voulons pas nous limiter à ces grands bassins industriels. Tout le reste de la France porte des projets, des initiatives, des souhaits de décarbonation.
Mais le Limousin n'est pas une terre d'industrie ?
F.B. : Limoges et le Limousin se trouvent sur une sorte de grande écharpe traversant la France depuis le Bordelais, en passant par la bordure ouest du Massif central et le Val de Loire pour finir en Ile-de-France. Diagonale qui selon RTE a besoin d'être renforcée en capacité de transport de l'électricité dans les 15 ans à venir. Le Limousin dispose d'un tissu industriel composé de petites installations diffuses, comme Legrand à Limoges.
Quels sont les enjeux, mais également les risques liés au renforcement du réseau électrique ?
Jérôme Rieu : Pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone en 2050, il faudra consommer et produire davantage d'électricité, et donc disposer d'un réseau en capacité de transporter ces volumes supplémentaires.
Dans son SDDR, RTE propose une stratégie nationale, optimisée et cadencée dans le temps qui permet de faire évoluer progressivement la structure du réseau. L'objectif est triple d'ici 2040 : renouveler le réseau existant en l'adaptant au changement climatique notamment aux canicules et aux inondations qui seront plus fréquentes ; raccorder les nouveaux consommateurs et les nouveaux moyens de production ; renforcer la grande colonne vertébrale du réseau en privilégiant l'utilisation des couloirs de lignes existants.
L'adaptation du réseau au changement climatique est le plus grand défi industriel du plan. A l'horizon 2040, RTE propose que 80 % du réseau soit résilient aux fortes chaleurs et aux inondations (100 % en 2060). RTE doit renouveler environ un quart du réseau de transport français d'électricité soit 23.500km, dont 4.500 km en Nouvelle-Aquitaine.
Ne pas investir dans le réseau aujourd'hui conduirait à une baisse progressive du niveau de fiabilité des infrastructures, fragilisant la qualité de service et la sécurité d'approvisionnement ; à des investissements supérieurs lors des décennies suivantes avec des vagues de renouvellement, qui deviendront incontournables au vu de l'état de vieillissement du réseau ; à une hausse importante des coûts annuels d'exploitation, compte tenu des congestions qui se créeraient sur le réseau.
Existe-t-il une spécificité en Haute-Vienne avec des zones identifiées comme grosses consommatrices ?
J.R. : La Haute-Vienne est particulièrement concernée par l'ensemble des priorités du SDDR : le réseau y est à certains endroits très ancien nécessitant son renouvellement, le département affiche des ambitions très élevées en termes de volumes d'énergies renouvelables terrestres à intégrer sur le réseau et enfin, des lignes de la grande colonne vertébrale du réseau qui devront être renforcées traversent le département.
S'agissant de la consommation, la consultation publique sur le SDDR a permis d'identifier des zones géographiques dans lesquelles une augmentation de la consommation d'électricité est susceptible d'intervenir à brève échéance.
Dans le département, cette augmentation est principalement liée au projet porté par Verso Energy, qui prévoit d'implanter une unité de capture de CO2 biogénique1 et de sa valorisation pour la production de carburant durable pour l'aviation à proximité du site papetier de Sylvamo à Etagnac et Saillat-sur-Vienne. La mise en service de ce projet nécessiterait une puissance électrique de 900 MW, équivalent à la puissance d'un réacteur nucléaire de première génération. Pour mettre à disposition cette puissance, des renforcements conséquents du grand réseau de transport d'électricité (400.000 V) seront nécessaires.
1 CO2 biogénique : carbone contenu dans la biomasse d'origine agricole ou forestière, émis lors de sa combustion ou dégradation, ainsi que celui contenu dans la matière organique du sol (ADEME)
Le 14 janvier à la fin du débat, la CNDP va rédiger un rapport à destination de RTE et de tous les publics. Publié sur le site de la Commission (debatpublic.fr), il reprendra les " remontées " des rencontres territoriales suivant les villes avec des recommandations. RTE a trois mois pour y répondre de façon circonstanciée.



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