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Une veille de Noël... trop douce

06h00 - 17 décembre 2025 - par Info Haute-Vienne
Une veille de Noël... trop douce
Un Père Noël... mal intentionné ?

En partenariat avec ICI Limousin, 17 auteurs locaux ont imaginé 17 contes inédits réunis dans « Contes de Noël ». Tous leurs droits d'auteurs sont reversés au Secours Populaire de la Haute-Vienne. Chaque exemplaire est vendu 13,90€. Voici pour vous mettre en appétit, « Une veille de Noël... trop douce » de Franck Linol, publiée avec l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions La Geste.

Tout avait commencé début novembre. Alors que la nuit étouffait le jour. Que le ciel était tombé bien bas. Que tout devenait épais, lourd, gris. Qu'on entrait dans le royaume des ombres. Ce long tunnel avec au milieu ce qui, pour lui, était un enfer. Noël. Des bottes en cuir avec fourrure blanche. Costume rouge de père Noël. Perruque et barbe blanche. Paul Morand musardait le long des Galeries Lafayette en remontant la rue Porte Tourny. Il transpirait sous son déguisement. Encore une veille de Noël tout en douceur. Bien trop douce pour faire croire à cette trompeuse « magie » de Noël. Depuis belle lurette, les flocons de neige, un 24 décembre, voletaient seulement dans nos mémoires ou dans les boules à neige.

Il ne voyait plus les vitrines des magasins qui scintillaient. Ni les guirlandes lumineuses qui se reflétaient sur l'asphalte humide et visqueux. Il ne sentait plus les odeurs des marrons grillés, le poivré des saucissons secs, la cannelle et les épices du vin chaud. Il n'entendait plus la musique sirupeuse - des chants de Noël - qui suintait des haut-parleurs. Ni les cris des gamins qui pataugeaient sur la patinoire éphémère dont le « groupe froid » avait du mal à conserver la glace intacte. Il marchait en regardant ce monde artificiel, falsifié et obscène. Ce monde dont il se sentait étranger.

Paul regagna son fauteuil situé sur les marches du grand magasin qui l'avait embauché pour « satisfaire » sa clientèle. Aussitôt, une maman flanquée de son chérubin vint se planter devant lui. Paul prit alors sa voix la plus douce pour l'enfant et un brin séduisante pour la maman. Il encouragea l'enfant à s'asseoir

sur ses genoux.

- Bonsoir, mon petit, tu t'appelles comment ?

- Victor...

- Ah... Victor, et tu as commandé quoi au Père Noël ?

L'enfant récita une liste de cadeaux dont Paul ignorait tout : des Lovidous,

des Furby...

- Et une tablette. Et où sont tes rennes ?

Pendant ce temps-là maman prenait des photos avec son Samsung. D'autres gamins, impatients, attendaient leur tour. La galère financière. Paul enchaînait des jobs précaires. « Cherche un employé non qualifié pour jouer le rôle du père Noël. Débutant accepté ». Il avait répondu à cette annonce. Passé un casting. On lui avait dit qu'il devait avoir la gueule de l'emploi : homme blanc, vieux et bedonnant. Il n'était pas si vieux, ni trop bedonnant. Mais il avait été pris. Car résistant au froid. Et il avait bien répondu aux questions du recruteur. Et promis de se faire une bedaine avec un accessoire gonflable. Mais il apprit que le Père Noël titulaire avait été viré, car il insultait les gosses, trop bourré qu'il était dès le début de l'après-midi.

Les gamins posaient toujours des questions et il fallait savoir répondre. Ils demandaient : « T'es venu comment ? Où sont tes rennes ? Et tu fais comment

pour entrer dans les maisons ? ». Le recruteur lui avait dit : « Toi, te fais pas chier à demander aux mômes ce qu'ils veulent pour Noël ». Mais Paul aimait bien leur demander. Aux mômes. Auxquels il offrait une sucette après la photo. Sauf à ceux qui lui tiraient sur la barbe. Certains lui confiaient leur lettre en assurant avoir été très sages.

Avec les mamans, les jeunes qu'il trouvait belles, en leur donnant le flyer d'une promo de chocolat, il déconnait un peu : « Eh oui, m'dame, je viens pas du pôle Nord, mais de Pôle Emploi ». Des trucs comme ça. Il voyait parfois revenir la maman avec un gobelet de café chaud.

Chaque jour, vers dix heures du matin, il enfilait son déguisement dans un vestiaire des employés du grand magasin. Et l'abattage commençait. Donner l'illusion de parler avec le « Père Noël » le temps d'une photo. La veille, un berger allemand énervé par la couleur rouge du costume - c'est ce que Paul pensa après coup - s'était jeté sur lui en montrant ses crocs. Paul avait senti l'haleine fétide du fauve, mais son maître, d'un coup sec sur la laisse, avait étranglé le molosse qui avait tiré la langue et s'était assis « au pied ».

Cela faisait plusieurs jours qu'il avait repéré, de l'autre côté de la rue, assis sur un carton contre un mur, un SDF. Absent du décor. Invisible. À ses côtés, un sac contenant toute sa vie. Que regardait-il ? Il semblait fixer Paul. Avec des tremblements dans les mains, il roula une cigarette. Puis il esquissa un sourire

doux qui laissa apercevoir des dents abîmées. 16h50. Le jour s'était totalement

retiré. Paul se leva, empoigna son sac en velours rouge fermé par un cordon

or. Sans un mot, abandonnant enfants et mamans qui attendaient leur tour, il traversa la rue. Marcha en direction du SDF et lui laissa un billet de vingt euros.

Puis d'un pas décidé, se dirigea vers l'agence bancaire située à l'angle du carrefour. Il pénétra dans la succursale. Il était seul avec deux employés qui papotaient en regardant avec impatience l'horloge murale.

- Bonsoir, les amis ! C'est le Père Noël !

Les deux guichetiers relevèrent la tête. Le visage de l'homme et celui de la femme exprimèrent tour à tour la surprise puis la jovialité.

- Joyeux Noël ! s'exclama Paul.

Les deux banquiers se mirent à rire. Paul déposa le sac qu'il portait sur l'épaule, l'ouvrit et sortit deux sucettes.

- Le Père Noël vient vous remettre ce cadeau spécial cette année. Une sucette à l'anis ! Je vous souhaite beaucoup de bonheur à votre réveillon. Amusez-vous bien pendant les fêtes ! Encore une fois : Joyeux Noël !

16h55. Paul tenait les deux sucettes au bout de son bras tendu. Comme un appât pour attraper des souris. L'homme et la femme se levèrent, contournèrent le guichet et toujours en s'esclaffant, rejoignirent le Père Noël. Ils s'emparèrent des sucettes. Paul lâcha un rire espiègle.

- Mais j'ai encore une surprise pour vous... un très beau cadeau... mes amis.

- Attendez... dit la femme, Kevin, ferme la boutique, c'est l'heure.

Kevin appuya sur un bouton mural et le volet roulant se déploya dans un ronronnement plaintif. Paul plongea la main dans le sac et en sortit une arme de

poing. Un Glock 42.

- La rigolade est terminée. Le fric ! Magnez-vous !

Les deux caissiers éclatèrent de rire. Décidément ce Père Noël était trop

drôle ! Quel sketch !

- Mais merde ! Je vais vous buter tous les deux ! Le fric ! Et fissa !

La nana n'en pouvait plus de se gondoler. Elle était pliée en deux.

- Oh ! Putain, que ça fait du bien cette bonne rigolade ! C'est un truc de

« ouf » !

- Eh ! Caro ! Son pistolet, y'a de la flotte dedans !

- Lol !! Non, mais arrête, j'en peux plus !

Ils riaient comme jamais. À en avoir les larmes aux yeux. Paul regardait ces deux abrutis partis en « live ». Son flingue qui pendait lamentablement au bout de

son bras. L'homme éternua à plusieurs reprises. Ce qui donna à sa collègue l'occasion d'en ajouter une bonne : « Noël au balcon, enrhumé comme un con ! »

Là, c'en était trop. Les deux plongèrent dans un fou rire incontrôlable. Paul rangea le Glock. Appuya sur l'interrupteur pour faire remonter le rideau métallique. Il balança son sac rouge sur l'épaule, jeta un dernier regard dégoûté sur les deux

couillons. Et disparut dans la nuit de Noël.

Les 17 auteurs

Marie-Noëlle Agniau, Yves Aubard, Jean-Pierre Bonnet, Jean-Louis Boudrie, Maryse Bouzet, Vincent Brousse, Philippe Grandcoing, Patrick Granger, Martine Janicot Demaison, Laurence Jardy, Fabrice Laurencier, Franck Linol, Alain Perinet, Fleur Poirier, Odile Rebeyrat, François Tacot, Fabrice Varieras.

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