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Elles ont la... science infuse

17h00 - 06 février 2024 - par Info Haute-Vienne
Elles ont la... science infuse
Geneviève Feuillade

La 9e Assemblée de la Journée internationale des femmes et des filles de science aura lieu les 8 et 9 février au siège de l'ONU à New York. L'occasion de recueillir des témoignages de chercheuses dans les laboratoires de Limoges.

En visitant les laboratoires ou les salles de classe des écoles d'ingénieurs, ça saute aux yeux : les femmes sont en minorité. Et ce n'est pas une simple impression : elles ne constituent que 8,4 % des salariées dans les emplois en sciences ou d'ingénieures. Les femmes sont toujours sous-représentées dans le monde de la recherche. Selon les chiffres publiés en 2023, on ne compte que 38 % de chargées de recherche au CNRS et seulement 30,1 % de directrices de recherche.

AUTOCENSURE

Vice-présidente déléguée partage et diffusion scientifique - science ouverte de l'Université de Limoges, Claire Lefort est chargée de recherche au CNRS, à l'Institut Xlim.

Âgée de 36 ans, maman de trois enfants, elle porte une analyse fine sur le manque de filles/femmes dans les études et/ou carrières scientifiques (30 % vs 70 % d'hommes en général) : « J'ai l'impression qu'il s'agit d'un déficit de vocation, ou que les jeunes femmes s'autocensurent. Elles se détournent de la physique, des maths, de l'informatique, qui souffrent d'une image de matières difficiles. Elles sont peut-être moins intéressées à remplir des tableaux d'équations, pour lesquels il faut un raisonnement scientifique et construit. Peut-être que cela ''décourage''. Finalement, elles sont davantage tournées vers l'humain et l'animal, vers la biologie, les sciences de la santé, la pharmacie pour devenir médecin, vétérinaire, pharmacienne, infirmière... La granularité est à l'intérieur des sciences, entre sciences du vivant et sciences et techniques ».

Pour elle, le fameux plafond de verre n'existe pas en soi au CNRS, notamment dans sa discipline, dans laquelle, à Limoges, elle est toutefois la seule chargée de recherche et il n'y a pas de directrice de recherche tout domaine confondu.

OPTIMISME

En 2015, Claire Lefort devient ambassadrice de « Pour les filles et la science » de L'Oréal, dont l'objectif est de combattre les stéréotypes, réconcilier les lycéennes avec les sciences et grossir l'effectif des chercheur(e)s scientifiques. Une mission pour laquelle elle a somme toute été « victime de discrimination », puisque le concours était réservé aux doctorantes de 2e année, avec 450 candidates en lice pour 10 lauréates.

Toujours dans une optique de diffusion scientifique, l'Université mène une action intitulée « Des scientifiquEs dans ma classe », qui a pour but de promouvoir les filières scientifiques auprès des collégiennes de 5e et 4e (parfois avec des collégiens). L'année dernière, une trentaine de chercheuses y ont pris part pour témoigner de leur parcours et de leurs travaux.

Presque dix ans plus tard, Claire Lefort se veut optimiste : « Nous avons eu une Première ministre, une directrice du FMI, une directrice d'AREVA et au niveau local, nous avons une présidente d'Université, une directrice de l'ENSIL-ENSCI, de 3IL, du CHU et on a eu une préfète... Tous ces exemples attestent que les femmes sont à la hauteur, qu'elles peuvent prendre des responsabilités ».

FAIRE SES PREUVES

Âgée de 56 ans, Geneviève Feuillade, professeur en chimie de l'environnement au laboratoire E2LIM, enseignante-chercheuse à l'Université de Limoges, responsable spécialité génie de l'eau et de l'environnement à l'ENSIL-ENSCI (où la direction est donc assurée depuis deux ans par une femme, Christelle Aupetit-Berthelemot), raconte : « En tant que femme, j'ai dû me battre tout le temps et faire mes preuves. On doit prouver ses capacités par rapport aux hommes. Pour évoluer dans sa carrière, une femme se bat davantage pour avancer. Parfois, on s'entend alors dire qu'on n'est pas à notre place, qu'on est des arrivistes, des carriéristes. La reconnaissance de l'homme est évidente. Une fois ses compétences prouvées, c'est de l'acquis. Pour les femmes, c'est une constante remise en cause, qui en définitive m'a peut-être ''motivée'' pour être toujours au top ».

Maman de trois enfants, elle confie que son mari l'a beaucoup aidée, accompagnée sinon « c'est mission impossible de gérer et organiser vie familiale et carrière, avec ce sentiment qu'il faut être ''bon'' partout : être une bonne mère tout en étant performante au travail ».

À l'instar d'autres collègues, Geneviève s'investit pour changer l'image de la scientifique : grâce à un partenariat avec l'Inspection académique, le dispositif « Partenaires scientifiques pour la classe » encourage et facilite l'engagement des scientifiques au bénéfice des enseignants du premier degré et de leurs élèves. L'an passé, sur la base du volontariat, une trentaine d'étudiants de l'ENSIL-ENSCI ont animé des séances d'une heure de sciences par semaine sur les thèmes de l'environnement, de l'eau et des déchets dans les écoles primaires.

Et de conclure : « Pendant longtemps, on a dit que les filles dans une équipe étaient difficiles à gérer. Dans mon laboratoire, on est une majorité de femmes et ça ''tourne'' bien. Lors d'un recrutement, on cherche à composer une équipe en fonction des personnalités, des besoins pour trouver un équilibre et non pour satisfaire des quotas ».

SCIENTIFIQUE ET MAMAN

Maître de conférences à l'Université de Limoges et chercheuse au laboratoire Xlim, membre de l'équipe Antennes et signaux au sein de l'axe systèmes radiofréquences, Laure Huitema, 39 ans, est maman depuis quelques mois : « J'ai accouché en juillet et j'ai fait la rentrée de septembre. Certainement une manière de montrer que je peux faire comme mes collègues hommes ? On se met davantage de pression pour prouver qu'on est capable, même plus capable ».

Passionnée par son métier, elle avoue qu'« avant, je travaillais tard le soir et des week-ends. Aujourd'hui, mes priorités ne sont plus les mêmes. Le temps professionnel a diminué même si j'essaie de compenser. Mais les générations ont changé et les hommes s'occupent plus volontiers des enfants ».

En 2020, l'enseignante-chercheuse en physique a reçu la médaille de bronze du CNRS pour ses travaux sur les systèmes radiofréquences. Cette distinction, qui est une reconnaissance de la communauté pour toute l'équipe, est la première pour Xlim.

Quant aux discriminations, elle ironise : « A l'échelon national, je siège au sein de comités de sélection de recrutement pour les maîtres de conférences. Pour avoir la parité, on me sollicite souvent, trois à quatre fois par an... Donc parce que je suis une femme... ».

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